Soi-disant que le cloud gaming, c’est le tur-fu. J’aurais une objection, voire plusieurs. Et si en fait, la “netflixation”, “deezerisation”, “spotifyisation”, [insérer service de streaming ici] du jeu vidéo, c’était franchement craignos ?
Le cloud du spectacle
Depuis quelques jours, nous nous doutons fortement – avec moult certitude, supplément “c’est sûr”, sauce “c’est évident” – que Microsoft prépare une console cloud gaming. L’idée derrière le cloud gaming est de permettre de jouer aux jeux vidéo avec la qualité habituelle, mais en réalité les titres sont streamés depuis une autre machine. Gros avantages : nomadisme et prix peu élevé de la machine.
Jusqu’ici, jouer via le cloud ne se fait pas sans encombres puisqu’il n’est pas rare de faire un tour au pays merveilleux du lag et de la déconnexion (aussi appelé Pays du Lancement de Diablo III). Néanmoins Microsoft aurait trouvé la solution en laissant à la “Scarlett Cloud” des opérations de calcul essentielles à réaliser, de même qu’un fragment du jeu streamé. Le résultat serait la disparition pure et simple des problèmes du cloud gaming. En contrepartie, une machine un peu plus chère mais tout de même largement moins chère qu’une console “traditionnelle” qui embarque du matos de la NASA.
Inutile de vous dire que si la Scarlett Cloud se confirme et qu’elle tient ses promesses, c’est une véritable révolution qui sera alors en marche dans le monde de plus en plus vaste du jeu vidéo. Toutefois, le cloud gaming représente une pente glissante savonnée à l’essence de peau de banane pour l’avenir du jeu vidéo.
Cloudia Schépeur
Avant de me traiter de “sale réac'”, demandez-vous quel modèle économique accompagnera le cloud gaming. À l’heure actuelle, on trouve deux écoles : le simple accès à une machine, l’achat des jeux restant à votre charge (Shadow) ou bien un catalogue de jeux moyennant abonnement (PlayStation Now, GeForce Now, tous les trucs en Now, quoi). De toute manière, un abonnement est systématiquement requis.
En réalité, ce n’est pas la Scarlett Cloud en elle-même qui me préoccupe, mais bien ce qu’elle augure : une démocratisation intensive du cloud gaming. En tant que poids lourd du jeu vidéo, Microsoft a une énorme influence dans l’évolution du marché du jeu vidéo, et si l’entreprise de Redmond sort sa propre plateforme de cloud gaming, c’est qu’on peut à priori compter sur cette nouvelle façon de jouer. De la même manière, il serait étonnant que Sony ne réagisse pas pour proposer quelque chose de similaire. La concurrence, tout ça…
Alors pourquoi est-ce si inquiétant ? Regardons ce que proposent les services de streaming musicaux. Des abonnements autour d’une dizaine d’euros par mois pour obtenir un accès illimité à quantité de titres. Spotify, par exemple, dévorait plus de 50% du marché du streaming musical en janvier 2018 selon Digital Music News. Les artistes responsables de la création desdits titres, quant à eux, touchaient 0,00397$ par diffusion. Autrement dit, si j’écoute MC Solaar en boucle sur Spotify – admettons que je sois vraiment motivé et que je lance 100 fois 1 chanson, ou 1 fois sans chansons (si tu penses à la Cité de la Peur en ce moment, tu gagnes un porte-clé ODIL), MC Solaar aura gagné… 40 centimes. Pour que l’artiste dépasse le millier d’euros, il faut qu’il ait récolté environ 255 000 écoutes.
En prenant ce constat, quelle est et quelle sera la situation pour les jeux vidéo proposés en cloud gaming ? Il existe pour l’instant très peu d’informations à ce sujet. Sur les 14,99€ mensuels réclamés par PlayStation Now, combien sont reversés aux titres joués parmi les 255 proposés, et surtout de quelle manière ? Créer un jeu aujourd’hui représente un investissement qui se chiffre en millions de dollars pour les plus grosses productions. Je pencherais pour un paiement initial pour ajouter le jeu au catalogue suivi d’un intéressement proportionnel au nombre d’heures jouées.
Jeu-service, set et match
Ce qui nous pend au nez, de fait, est la généralisation massive du jeu-service et des microtransactions. Nous savons déjà que ces dernières représentent énormément d’argent, et Fortnite vient de le prouver une fois encore, si tant est qu’il restait quelque chose à prouver. Si l’on part du principe que le cloud gaming, c’est un abonnement en échange duquel on a accès à une flopée de jeux, alors il faut bien que les éditeurs aillent chercher leurs revenus ailleurs. Il ne faut pas rêver, Activision a bien l’intention de dépasser le milliard de dollars de profits.
Quelle solution apparaît alors la plus plausible ? Pousser toujours plus loin le jeu-service, élargir le champ des microtransactions, séduire le joueur pour lui attraper vigoureusement le porte-monnaie. Déjà que même les jeux solos nous infligent de magasins dont ils ne manquent pas de faire la promo, j’aurais presque envie de dire que l’avenir est en marche, les petits potes !
Mais cela va plus loin. Aujourd’hui déjà, l’objectif est bien entendu de produire des jeux qui plaisent au plus large public possible (en langage de marketeux, les gens constituent avant tout une “part de marché”). Malgré tout, on assiste à quelques échappées belles avec des pépites n’ayant pas peur de prendre un parti. La licence Dark Souls est un exemple, Divinity: Original Sin en est un autre. Quel avenir sur le long, voire très long terme, pour ces titres dans le tout cloud gaming ? Il y a aussi à s’inquiéter concernant ceux qui cherchent déjà à plaire à tout le monde : la tendance ne peut que s’accentuer. Et je ne parle même pas des jeux indépendants.
Fin de course
Faut-il craindre le cloud gaming ? Pas nécessairement. Il faut avant tout craindre sa mauvaise utilisation. Je vous l’accorde, ça fait un peu discours de lobbyiste crétin NRA, néanmoins si éditeurs, studios et fournisseurs de services cloud gaming arrivent à s’entendre sur un modèle économique sain, il n’y a pas de raison pour que les choses évoluent dans le mauvais sens. Et puis c’est vrai que c’est une constante de s’entendre raisonnablement quand il s’agit d’argent.
Bien entendu que ce “funeste futur du jeu vidéo” n’est pas pour demain, ni même pour 2020 et la sortie de Scarlett Cloud, mais nous nous sommes clairement engagés sur ce chemin et la multiplication des services de cloud gaming le prouve bien.
À l’heure où le public ne comprend pas ou préfère ne pas comprendre qu’acheter est un vote, il est assez légitime de s’imaginer que si le cloud gaming prend la mauvaise direction, ça n’empêchera pas le public de continuer à raquer tous les mois pour avoir sa dose de jeu fast food. En même temps, un char customisé avec des licornes pour Assassin’s Creed: Odyssey de l’espace ou un costume inédit de chevalier fluo, ça ne se refuse pas.
Nice article, moi aussi cette annonce de microsoft me laisse très circonspect.
Le prob avec le cloud gaming c’est que le jeu ne nous appartient plus du tout, dès qu’on arrête de payer l’abonnement on a plus rien, autrefois on pouvait prêter ou revendre son jeu, ou simplement décider de le relancer quelques mois plus tard pour se refaire une partie, là c’est tout ou rien.
De plus la nécessité d’avoir en permanence internet pour avoir accès à son catalogue de jeu pose évidement problème pour les petites ou mauvaises connexions (même avec une partie des calculs réalisés sur place par la box j’imagine le débit nécessaire pour avoir du 4K 60fps sur sa télé ) ça sera probablement inaccessible à beaucoup de zones rurales ou même aux citadins qui aimeraient avoir accès à leurs jeux en vacance.
De plus comme tu le dis dans l’article le cloud gaming risque de multiplier la tentation des éditeurs de nous proposer des "jeux-services" pour multiplier les profits par des achats superflus au-delà de l’abonnement initial !
Bref au final je vois beaucoup d’inconvénients à ce système pour assez peu de profits ! :/